L’insoutenable légèreté de l’attente
Nous avons demandé notre agrément quand notre fils avait un
an. Ce premier enfant, nous l’avions attendu près de cinq ans. Puis il était
venu, à un moment où l’on ne s’y attendait plus et d’un endroit inattendu : mon
ventre. J’ai gardé le journal paru le jour de sa naissance. Gros titre à la
une : ‘Une loi pour faciliter l’adoption d’enfants étrangers’. L’article
annonçait une nouvelle loi et la création de l’AFA. Hasard ? Destin ?
Fil rouge ?
Nous avons obtenu cet agrément après 18 longs mois
d’attente. Peu après les trois ans de notre fils, nous avons appris la bonne
nouvelle de l’AFA : nous pouvions envoyer un dossier en Thaïlande !
Commença alors une période de grande effervescence. Avec chaque papier que je
rajoutais au dossier, j’avais l’impression de construire un lien entre moi et
cet enfant qui m’attendait quelque part là-bas. Enfin du concret, enfin nous
étions acteurs de notre projet !
Après l’envoi du dossier, commençait LA Grande Attente. Nous
pensions y être préparés. Ce sera long, environ 2 ans nous disait-on, mais
c’était faisable. Notre fils commençait la petite section et je m’imaginais
comment, un jour, j’amènerai mes deux enfants ensemble à la maternelle. Au bout
de quelques mois, nous avons appris que le nombre de dossiers en attente à
Bangkok avait atteint un record et que l’attente serait de trois ans. Coup
dur : c’était l’année de trop !
Un jour, en allant chercher notre fils, quatre ans, à un
goûter d’anniversaire, je croise la maman d’un de ses copains. Elle m’apprend
sa grossesse. Le soir, je raconte à mon mari que j’ai croisé la maman de
Julien. ‘Elle attend son deuxième’, lui dis-je. Dix minutes plus tard, notre
conversation ayant déjà changé de sujet, notre fils nous dit ‘Mais maman, nous
aussi, on attend !’ Prudente, je lui demande de quoi il parle. ‘Ben, nous
aussi, on attend le deuxième !’ Nous lui expliquons alors le retard et
disons que nous pensons que le petit frère ou la petite soeur viendra quand il
sera en grande section.
L’attente me donne l’impression de vivre dans une bulle. À
l’intérieur de cette bulle, la vie continue. Notre fils grandit, nous profitons
de lui et de la vie, malgré tout. Mais quelque chose, quelqu’un, reste hors
d’atteinte. Le projet professionnel que j’ai envie de réaliser, reste en
suspens. Le projet d’aménager un bureau en bas et une chambre d’enfant en haut
est reporté. Cet enfant me manque énormément, ce que peu de personnes arrivent
à comprendre. Mon mari ne ressent pas ce manque de la même façon. Heureusement…
Il y pense surtout aux moments où il y a des démarches à faire, mais me
comprend néanmoins et tient autant au projet que moi. Je voudrais moi aussi ne
pas y penser tout le temps, mais c’est comme si j’étais enceinte et que je
sentais l’enfant en moi. Une grossesse interminable, à la délivrance sans cesse
reportée.
Notre entourage, au fil des années, n’ose plus nous en
parler. De toute façon, nous ne savons plus quoi en dire non plus. Je n’en
parle qu’avec quelques bonnes copines, qui sont du coup au courant de tout le
jargon : OAA, AFA, quota, enfant à particularité, board ... Lors des
réunions de famille, j’ai du mal à échanger avec les autres. Nous ne parlons
pas du sujet qui me tient le plus à coeur et personne ne demande après ma
grossesse invisible de 46 mois. Je ne leur en veux pas, mais du coup je
n’arrive plus à m’investir dans les autres sujets de conversation.
Notre fils a maintenant quitté la maternelle et déjà terminé
sa première année de ‘grande école’. Il vit sa vie de garçon de sept ans. Il ne
croit plus au Père Noël, ni à la petite souris et j’ai l’impression qu’il ne
croit plus trop à cette histoire d’adoption non plus. Quatre ans après l’envoi
du dossier, toujours ni frère ni soeur à l’horizon. Nous aimerions ne plus lui
en parler, mais voilà, notre agrément se termine. Nous avons décidé d’en
demander un deuxième et il sera donc amené à en parler lors de cette nouvelle
série d’entretiens.
Cette attente n’est facile à gérer pour personne, ni pour
nous, les parents, ni pour notre fils, ni pour notre futur enfant, qui lui
aussi attend ... Nous ne sommes pas mieux armés ou mieux informés pour gérer
cette nouvelle phase de notre vie par rapport au début de l’attente. Notre
futur deuxième enfant n’a rien à y gagner non plus. Finalement la longue
attente n’est bénéfique pour personne. Mais il paraît qu’une fois la bonne
nouvelle arrivée, on oublie l’attente.